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  • La France, une nation mal défendue ?...

    Le 10 février 2016 Valérie Brochard, Eric Naulleau et Eric Zemmour recevaient dans leur émission sur Paris première le général Vincent Desportes et le Gérard Longuet, ancien ministre de la défense, pour évoquer la situation de l'armée française. Vous pouvez découvrir le débat ci-dessous, dans une vidéo mise en ligne par le site Nos médias.

    Auteur de plusieurs ouvrages de réflexion sur la guerre et la stratégie, le général Desportes a récemment publié La dernière bataille de France - Lettre aux Français qui croient encore être défendus (Gallimard, 2015).

     

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  • « Qui dit guerre dit effort de guerre » ...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la "guerre" menée par la France contre l’État islamique...

     

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    « Il ne sert à rien de supprimer Daech si l’on ne sait pas par quoi le remplacer ! »

    François Hollande a promis aux Invalides de « tout faire pour détruire les fanatiques de l’armée de Daech ». On en prend le chemin ?

    C’est de la gesticulation. Après s’être refusé à bombarder les positions de l’État islamique pendant plus d’un an pour se concentrer sur l’aide apportée aux opposants à Bachar el-Assad, le chef de l’État a seulement décidé d’intensifier nos frappes. Mais des attaques aériennes n’ont jamais permis de gagner une guerre, surtout réalisée par des chasseurs-bombardiers qui ont le plus grand mal à atteindre les cibles mobiles et des ennemis particulièrement aptes à la dispersion et à l’imbrication avec les populations (ne soyons pas naïfs au point de croire que nos frappes ne touchent que des djihadistes !). On compte à l’heure actuelle de vingt à trente frappes par jour sur un territoire grand comme la Grande-Bretagne, soit environ 8.300 frappes depuis le début des bombardements. Les frappes réalisées par nos avions de combat ne représentent que 4 % de ce total. Elles ont, au mieux, permis de détruire 1 % du total des effectifs armés de Daech. On est loin du compte.

    Qui dit guerre dit effort de guerre. Or, depuis des années, les budgets militaires sont les parents pauvres de la dépense publique. Passés désormais au-dessous du seuil de suffisance, ils ne permettent plus d’assurer nos missions régaliennes dans un monde qui devient pourtant toujours plus dangereux. Parallèlement, des milliers de militaires qui pourraient être mieux employés ailleurs ont été transformés en vigiles de rue (les opérations Vigipirate et Sentinelle mobilisent l’équivalent de deux brigades, alors que nous n’en avons que douze). Comme l’a dit le colonel Michel Goya, « il est toujours délicat de jouer les gros bras quand on n’a plus de bras ».

    Que faudrait-il faire ?

    Chacun sait bien qu’on ne pourra pas faire éternellement l’économie d’un envoi de troupes au sol. Mais personne ne s’y résout pour l’instant. Citons encore le colonel Goya : « Il n’y a combat dit asymétrique et résistance souvent victorieuse du “petit” sur le “fort” que tant que ce dernier craint de venir combattre sur le terrain du premier […] Quand on ne veut pas de pertes, on ne lance pas d’opérations militaires. »

    S’assurer de l’étanchéité de la frontière avec la Turquie, aujourd’hui inexistante, serait l’un des premiers objectifs à atteindre. La Turquie joue, en effet, un jeu irresponsable. Tout ce qui l’intéresse est de nuire à Bachar el-Assad et d’empêcher la naissance d’un État kurde indépendant. Elle aide directement ou indirectement Daech, et elle le finance en lui achetant son pétrole. Elle n’a pas hésité à abattre un avion russe parce que celui-ci bombardait des convois pétroliers, et les États-Unis lui ont apporté leur soutien dans cette agression d’une gravité inouïe au seul motif que les Turcs sont membres de l’OTAN.

    Cela pose la question de nos rapports avec l’OTAN, dont le général Vincent Desportes n’hésite pas à dire qu’elle est devenue une « menace sur la sécurité des Européens » et un « outil de déresponsabilisation stratégique » qui « nous prive des moyens de gagner des guerres et constitue le meilleur obstacle à l’édification d’une défense commune européenne indépendante ». À l’inverse, cela devrait nous amener à collaborer sans arrière-pensées avec tous les ennemis de nos ennemis, à commencer par la Russie, la Syrie et l’Iran. Mais soyons sans illusions : tous les spécialistes savent que cette guerre ne peut être qu’une entreprise de longue haleine, qui va durer au moins dix ou vingt ans.

    À supposer que les Occidentaux – ce terme est employé à dessein – aient la capacité technologique de gagner la guerre contre le terrorisme, comment ensuite gagner une paix durable ?

    Parler de « guerre contre le terrorisme » (ou « contre le fanatisme »), comme le font les Américains, n’est qu’une façon détournée de ne pas nommer l’ennemi. Notre ennemi n’est pas le terrorisme. Notre ennemi, ce sont ceux qui utilisent le terrorisme contre nous – et qui nous ont à ce jour plus terrorisé que nous ne les avons terrorisés nous-mêmes. On a tendance, aujourd’hui, à présenter les interventions militaires comme des « opérations de police ». C’est oublier qu’il y a une différence essentielle entre les unes et les autres, car la guerre aspire à la paix par la victoire, tandis que la police poursuit une mission sans fin (on ne fait pas la paix avec les délinquants). Refuser le statut d’ennemis à ceux que l’on combat, c’est s’engager dans des hostilités qui n’en finiront jamais.

    Lutter contre l’État islamique implique de s’attaquer aux causes premières de sa force, lesquelles ne sont pas militaires, ni même religieuses, mais fondamentalement politiques. Il ne sert à rien de supprimer l’État islamique si l’on ne sait pas par quoi le remplacer. S’imaginer que les choses reprendront leur cours normal une fois qu’on aura fait disparaître les « fanatiques » et les « psychopathes », c’est rêver debout. Cela exige une intense activité diplomatique, à la fois nationale et surtout régionale. Au bout du compte, une grande conférence internationale sera nécessaire, qui devra sans doute envisager un remodelage des frontières. Mais dans l’immédiat, il faudrait déjà en savoir plus sur l’État islamique, et se demander – la question a été posée récemment par Xavier Raufer – comment il se fait que ses principaux dirigeants ne sont justement pas des islamistes, mais le plus souvent des anciens cadres de l’armée de Saddam Hussein.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 28 décembre 2015)

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  • Lettre aux Français qui croient encore être défendus...

    Les éditions Gallimard viennent de publier un essai du général Vincent Desportes intitulé La dernière bataille de France - Lettre aux Français qui croient encore être défendus. Si le général Desportes s'est fait connaître du grand public en exprimant son hostilité à l'engagement militaire français en Afghanistan et en étant sanctionné pour ses propos, il est surtout l'auteur de plusieurs ouvrages de réflexion sur la guerre et la stratégie, tels que Comprendre la stratégie (Economica, 2001), Décider dans l'incertitude (Economica, 2004), La guerre probable (Economica, 2008) ou Le piège américain (Economica, 2011).

     

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    " Jamais l'armée française n'a été mobilisée simultanément sur autant de théâtres d'intervention, et cela alors que les moyens budgétaires qui lui sont alloués n'ont cessé de diminuer depuis un quart de siècle. C'est cette contradiction, avec des armées aujourd'hui proches du point de rupture, qui justifie le cri d'alarme du général Vincent Desportes.
    Tandis que les menaces de toute nature se multiplient à l'échelle internationale et que le territoire national est désormais directement menacé, la France peut-elle se permettre de ne plus compter que sur des armées aux capacités très fortement dégradées à cause d'une politique d'économies à courte vue? L'effort budgétaire est nécessaire, mais il ne suffit pas de réclamer des moyens ; il faut en redéfinir la nature et l'emploi. De quelle armée la Nation a-t-elle aujourd'hui besoin? C'est à un profond renouveau de la réflexion stratégique française qu'en appelle l'ouvrage."

     

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  • Le livre noir du désarmement français...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Vincent Desportes, cueilli sur Theatrum Belli et consacré au calamiteux Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

     

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    Livre blanc de la défense : le livre noir du désarmement français

    Avalé le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale ! Beaucoup d’émotion avant, belle levée de boucliers bipartisane, quelques récris le 29 avril jour de la révélation officielle … et puis plus rien. L’excellente manœuvre de communication gouvernementale a estompé, puis rapidement fait oublier, que c’était une grave dégradation de la défense de la France et de sa place dans le monde que ce Livre Blanc venait d’acter. Un nouveau mantra, pernicieux, anesthésie le monde de la défense : « Nous avons évité le pire … »

     

    Décrochage stratégique

    On a d’abord fait craindre l’apocalypse, « le modèle Z », pour que le décrochage apparaisse ensuite comme une bénédiction. Le 29 mars, notre Président s’engage et fait des promesses budgétaires … qui seront démenties par le Livre Blanc sans que nul ne s’en émeuve. Alors qu’il était impatiemment attendu, le Livre est présenté par le Président au milieu d’un « pont » de Mai, à l’Elysée certes mais juste avant une grande manifestation en faveur des entrepreneurs qui réunit tout le gouvernement … et qui fera l’ouverture des journaux télévisés. Efficace manœuvre de diversion. Dans le discours même de présentation du ministre, les chefs d’état-major sont nommément impliqués, comme pour contraindre chacun d’entre eux à l’acceptation silencieuse. Le tour est joué. Quelques discours apaisants encore. Nous serons bientôt à l’été dont nous reviendrons pour découvrir une Loi de Programmation Militaire qui entérinera le décrochage stratégique. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. A défaut d’avoir fait les choix indispensables, à défaut d’avoir même sanctuarisé les budgets nécessaires au modèle défini, le Livre Blanc nous réserve probablement l’effondrement que nous croyons avoir repoussé !

    Depuis plus de deux décennies, la défense de la France se dégrade. Elle se dégrade de manière homothétique sans changer de modèle, celui d’une défense globale pour une puissance à vocation mondiale. Jusqu’ici l’exercice était difficile, mais il semblait possible. Le Livre Blanc de 2008 étirait pourtant déjà le modèle au-delà de ses limites, avec des capacités déconnectées des ambitions affichées. Son image emblématique et caricaturale est celle du porte-avions : à l’instar de cet unique porte-aéronefs auquel on décida alors de ne pas donner de sister-ship, la France avait déjà fait le choix de ne plus pouvoir qu’un peu, et pas tout le temps !

     

    Un pari intenable qui n’a pas été tenu

    Le Livre Blanc 2013, pour sa part, bénéficiait de deux opportunités : celle de « devoir » choisir et celle de pouvoir politiquement s’inscrire en rupture avec les exercices antérieurs. L’occasion était donnée de penser un modèle de défense cohérent et autonome, adapté à notre situation de puissance régionale. C’était possible. Finalement, le modèle proposé n’est qu’une dégradation du précédent sans que sa cohérence ait été reconstruite, sans que notre autonomie stratégique ait été rebâtie.

    Il fallait choisir. A budget en baisse, avec des coûts d’équipement qui ne peuvent que croître à chaque renouvellement, il était devenu impossible « d’assumer toutes les missions » (1), de préserver un « outil de défense complet ». Un pari intenable qui n’a pas été tenu : celui du maintien des ambitions avec une baisse sensible des moyens. En partant déjà d’un modèle très dégradé, « à l’os », il était impossible de faire la même chose avec sensiblement moins.

     

    Les forces conventionnelles, la variable d’ajustement

    Le premier arbitrage nécessaire concernait l’équilibre à rétablir entre dissuasion et capacités conventionnelles. Fallait-il maintenir à tout prix l’arsenal nucléaire en l’état, planifier même son amélioration, au risque de réduire très fortement nos capacités conventionnelles ? Ou bien fallait-il, à effet dissuasif inchangé, consentir des réductions raisonnables de l’arsenal pour préserver nos capacités d’action classiques, demeurer capables de faire face aux aléas du quotidien, aux guerres que l’on ne choisit pas, aux menaces et catastrophes sur le territoire national ? Réponse claire : pour ne pas toucher au nucléaire – alors même que d’importantes économies peuvent y être faites sans dégrader la dissuasion, cela mérite d’être répété – on fait des forces conventionnelles la variable d’ajustement budgétaire. Jusqu’à la caricature.

    La France, grand pays de tradition militaire, forte de 65 millions d’habitants, ne sera désormais en mesure de participer à une opération majeure en coalition qu’à hauteur de 15.000 hommes et de 45 avions ! C’est-à-dire rien. Avant le Livre Blanc 2008, nous étions encore supposés nous engager avec 50.000 hommes et 100 avions ; depuis, nous étions tombés à 30.000 hommes et 70 avions. Le fait est là : dans les interventions conventionnelles en coalition, nous sommes revenus à nos capacités de la 1ère guerre du Golfe en 1991, capacités tant vilipendées alors pour leur insignifiance. Au sein d’une coalition, nous n’aurons plus désormais ni effet, ni influence stratégique. Nous ne serons plus à l’avenir qu’un partenaire mineur, une « proxy force ».

     

    Une autonomie stratégique fortement dégradée

    Le deuxième arbitrage relevait du dimensionnement de nos ambitions au regard de nos capacités, puis de l’adaptation de celles-ci aux premières. Ici encore, l’adéquation n’a pas été faite. Un des points positifs du Livre Blanc est d’établir des zones d’intervention prioritaires : territoire national, Europe, Méditerranée, Afrique du Nord et sub-sahélienne. Très bien. Il fallait dès lors doter la France d’une force expéditionnaire solide, en mesure de lui permettre d’exercer ses responsabilités et de protéger ses intérêts dans ces zones prioritaires. Il fallait reconstruire notre autonomie stratégique fortement dégradée aujourd’hui puisque, par manque de capacités de transport stratégique, de ravitaillement en vol, de renseignement et de mobilité opérative (hélicoptères lourds et de manœuvre) en particulier, nous ne sommes plus en mesure de conduire dans la durée que les opérations validées par les Américains. L’autonomie stratégique, la cohérence opérationnelle, sont revendiquées, à raison, tout au long du Livre Blanc, mais ce dernier ne prend pas les mesures indispensables pour les restaurer. C’est même le contraire qui se produit.

     

    Les petits programmes condamnés

    Le Livre Blanc défend l’industrie de défense intelligemment, mais de manière parfaitement théorique. A juste titre, il rappelle l’importance économique et sociale de l’activité industrielle, fait disparaître le concept pernicieux des « cercles technologiques » apparu dans l’exercice précédent, rappelle l’importance de la préservation des technologies clefs, souligne le besoin de financement étatique des recherches amont et la nécessité d’assurer la pérennité des bureaux d’études, ouvre davantage l’industrie au marché du maintien en condition des équipements, prône l’accompagnement à l’exportation. Mais, en même temps, il annonce des diminutions sensibles de cibles et des étalements de programmes.

    En préservant tous les programmes « à effet majeur », il condamne nombre de « petits programmes » ceux qui assurent justement la « cohérence opérationnelle » revendiquée par ailleurs. La diminution des budgets ne pouvant porter (au moins au début, avant le « pay back » des diminutions d’effectifs) que sur les investissements conventionnels, des calculs simples montrent que ceux-ci, selon les hypothèses, pourraient diminuer immédiatement de 30 % à 40 %. Ce qui condamne pour longtemps ceux qui n’ont pas encore été lancés, dont le programme Scorpion* pourtant vital pour l’efficacité des forces terrestres. L’industrie de défense est sanctuarisée théoriquement, mais elle devrait pourtant perdre mécaniquement entre 10.000 et 20.000 emplois, selon le sort réservé à la « trajectoire budgétaire ». Dans cette destruction, l’industrie terrestre et les PME seront inévitablement les premières concernées.

     

    Un effort budgétaire de deux à trois milliards d’euros par an

    Pour que l’on s’en tienne là, encore faudrait-il que les budgets prévus soient bien alloués par la LPM, que les lois de financement soient votées, puis qu’elles soient exécutées. Encore faudrait-il aussi que les fragiles hypothèses de construction ne s’effondrent pas : que la conjoncture économique soit au rendez-vous, que la croissance reprenne, qu’il y ait eu retour à l’équilibre des finances publiques, que l’exportation de matériels majeurs se concrétise enfin, que les frais de démantèlement des infrastructures militaires du CEA ne soient pas imputées au ministère de la Défense… Encore faudrait-il aussi que soient engrangés les six milliards de ressources exceptionnelles nécessaires au respect des engagements budgétaires, ce qui – même sans procès d’intention – est très improbable.

    Contrairement à ce qui a été dit, l’effort budgétaire devrait se situer annuellement en moyenne entre deux et trois milliards en dessous de ce qu’il était en 2013. En 2019, fin de la LPM, nous serons donc loin du compte. Non seulement le Livre Blanc prévoit d’emblée une diminution de l’ordre du quart de nos moyens d’action conventionnels, mais il porte aussi en lui la certitude de prochaines coupes claires dans les équipements et les effectifs. D’autant que dès la fin de la décennie, si les indispensables décisions ne sont pas prises, les lancements des programmes du « nouveau » renouvellement des armes nucléaire vont venir écraser de leur poids budgétaire ce qui restera encore de nos forces conventionnelles.

     

    L’armée de Terre suisse surpassera en format et équipements l’armée de Terre française

    Le désarmement massif de l’Europe avait fait émerger la « France militaire » et lui avait donné, d’un même souffle, une responsabilité, un rôle et une chance historiques. L’opération Serval au Mali aura été le marqueur de cette brève époque. Avec ce Livre Blanc, nous nous banalisons et perdons cet avantage comparatif majeur. Alors qu’elle est déjà la plus grande puissance économique de l’Europe, l’Allemagne ressort grandie de cet exercice comme sa plus grande puissance conventionnelle ; avant la fin de la LPM, l’armée de Terre suisse surpassera en format et équipements l’armée de Terre française !

    Façonné d’emblée par les contraintes budgétaires, bâti sur des trajectoires financières ambiguës et incertaines, le Livre Blanc 2013 conduit au déclassement stratégique. Que l’on parle ou non de « décrochage», en une décennie, de 2008 à 2019, les réductions d’effectifs et d’équipements auront affaibli de plus de la moitié nos capacités de combat ! Le modèle proposé constitue une dégradation homothétique du modèle précédent déjà très affaibli. En l’absence de vision et de choix clairs, n’abandonnant rien, il saupoudre les moyens pour donner à la France une armée qui peut de moins en moins dans chacun de ses domaines d’emploi. Il affaiblit partout, sans chercher à rétablir notre autonomie stratégique en comblant les trous capacitaires qui se multiplient, s’agrandissent et la minent. Ce livre noir est celui du désarmement français.

    Général (2s) Vincent Desportes (Theatrum Belli, 28 mai 2013)

     

    Notes :

    (1) : Discours de Jean-Yves Le Drian, Ecole Militaire, lundi 29 avril 2013

    * Programme Scorpion : programme visant, notamment, à moderniser les véhicules blindés de combat (transports de troupe protégés, chars légers et chars lourds) et à améliorer la protection des combattants et des matériels. (note Métapo)

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  • Opérations extérieures et opérations d'influence...

    "Nous autres idéalistes, enfants des lumières et de la civilisation, pensons régulièrement que la guerre est morte. Las, cet espoir est aussi consubstantiel à l'homme que la guerre elle-même. Depuis que l'homme est homme, la guerre et lui forment un couple indissociable parce que les hommes sont volontés – volonté de vie et volonté de domination – et que la confrontation est dans la nature même de leurs rencontres." Général Vincent Desportes, La guerre probable (Economica, 2008)


    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par le général Vincent Desportes à Bruno Racouchot pour l'excellente revue Communication & Influence, éditée par le cabinet COMES. Le général Desportes est l'auteur de nombreux essais consacrés à la stratégie comme Comprendre la guerre (Economica, 2000) ou La guerre probable (Economica, 2008). 

     

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    Opérations extérieures et opérations d'influence: le décryptage du Général Vincent Desportes

    Somalie, Centrafrique, Mali… à des titres divers, l'armée française intervient sur bien des fronts. Il ne s'agit plus seulement de frapper l'ennemi, il faut aussi gérer les conflits informationnels et anticiper les réactions, le tout en intégrant de multiples paramètres. Comment percevez-vous cette imbrication des hard et soft powers ?

    Nous assistons indéniablement à un affrontement des perceptions du monde. Les terroristes cherchent à faire parler d'eux, à faire émerger leur perception du monde à travers des actions militaires frappant l'opinion, actions dont la finalité est d'abord d'ordre idéologique. Ils inscrivent leurs actions de terrain dans le champ de la guerre informationnelle. Ils font du hard power pour le transformer en soft power. Les opérations militaires qu'ils conduisent le sont en vue de buts d'ordre idéologique. Ils ne recherchent pas l'effet militaire immédiat. Ils agissent plutôt en termes d'influence, à mesurer ultérieurement. Dans cette configuration, il y a une interaction permanente entre le militaire stricto sensu et le jeu des idées qui va exercer une influence sur les opinions publiques. La guerre est alors vue comme un moyen de communication, qui a pour but de faire changer la perception que le monde extérieur peut avoir de celui qui intervient.

    Notons que cela ne joue pas que pour les terroristes. La France intervient au Mali et elle a raison de le faire. En agissant ainsi, de manière claire et efficace, elle modifie la perception que le monde pouvait avoir d'elle, à savoir l'image d'une nation plutôt suiveuse des États-Unis, comme ce fut le cas en Afghanistan. En intervenant dans des délais très brefs et avec succès loin de ses bases, en bloquant les colonnes terroristes, en regagnant le terrain perdu par les soldats maliens, et surtout en ayant agi seule, elle ressurgit d'un coup sur la scène médiatico-politique comme un leader du monde occidental. Était-ce voulu au départ ? Je ne sais pas. Mais le résultat est là. La France retrouve sa place dans le jeu complexe des relations internationales à partir d'une action militaire somme toute assez limitée. En conséquence, si l'on veut avoir une influence sérieuse dans le monde, nous devons conserver suffisamment de forces militaires classiques relevant du hard power, pour pouvoir engager des actions de soft power. L'un ne va pas sans l'autre. Le pouvoir politique doit bien en prendre conscience.

     

    Justement, à l'heure où s'achève la réflexion sur le futur Livre blanc, quid des armes du soft power dans le cadre de la Défense ? La France n'est-elle pas en retard dans ce domaine ? N'est-il pas grand temps, comme vous le suggériez dans La guerre probable, de commencer enfin à "penser autrement" ?

    "Toute victoire, disait le général Beaufre, est d'abord d'ordre psychologique." Il ne faut jamais perdre de vue que la guerre, c'est avant tout l'opposition de deux volontés. En ce sens, l'influence s'impose bel et bien comme une arme. Une arme soft en apparence, mais redoutablement efficace, qui vise à modifier non seulement la perception, mais encore le paradigme de pensée de l'adversaire ou du moins de celui que l'on veut convaincre ou dissuader. Dans la palette qui lui est offerte, l'homme politique va ainsi utiliser des moyens plus ou moins durs (relevant donc de la sphère du hard power) ou au contraire plus ou moins "doux" (sphère du soft power) en fonction de la configuration au sein de laquelle il évolue et des défis auxquels il se trouve confronté.

    Le problème de la pensée stratégique française est justement qu'elle éprouve des difficultés à être authentiquement stratégique et donc à avoir une vision globale des choses. Notre pays a du mal à construire son action en employant et en combinant différentes lignes d'opérations. L'une des failles de la pensée stratégique française est de n'être pas en continuité comme le percevait Clausewitz, mais une pensée en rupture. C'est-à-dire qu'au lieu de combiner simultanément les différents moyens qui s'offrent à nous, nous allons les employer successivement dans le temps, au cours de phases en rupture les unes avec les autres. On fait de la diplomatie, puis on a recours aux armes du hard power, puis on revient à nouveau au soft power. Cette succession de phases qui répondent chacune à des logiques propres n'est pas forcément le moyen idoine de répondre aux problèmes qui se posent à nous. Utiliser en même temps ces armes, en les combinant intelligemment, me paraîtrait souhaitable et plus efficace. Notre pays a malheureusement tendance à utiliser plus facilement la puissance matérielle que la volonté d'agir en douceur pour modifier ou faire évoluer la pensée – et donc le positionnement – de celui qui lui fait face.

    Notre tradition historique explique sans doute pour une bonne part cette réticence à utiliser ces armes du soft power. Pour le dire plus crûment, nous nous méfions des manœuvres qui ne sont pas parfaitement visibles. L'héritage de l'esprit chevaleresque nous incite plutôt à vouloir aller droit au but. Nous sommes des praticiens de l'art direct et avons beaucoup de mal à nous retrouver à agir dans l'indirect, le transverse. À rebours par exemple des Britanniques, lesquels pratiquent à merveille ces stratégies indirectes, préférant commencer par influencer avant d'agir eux-mêmes. Prenons l'exemple de leur attitude face à Napoléon. Le plus souvent, au lieu de chercher l'affrontement direct, ils ont joué de toutes les gammes des ressources du soft power et engagé des stratégies indirectes. Ils ont cherché à fomenter des alliances, à faire en sorte que leurs alliés du moment, les Russes, les Prussiens, les Autrichiens, s'engagent directement contre les armées françaises. Ils ont su susciter des révoltes et des révolutions parmi les populations qui étaient confrontées à la présence ou à la menace française, comme ce fut le cas en Espagne. Le but étant à chaque fois de ne pas s'engager directement mais de faire intervenir les autres par de subtils jeux d'influence.

     

    Cette logique demeure toujours d'actualité ?

    Indéniablement. Même sur le plan strictement opérationnel, cette même logique perdure sur le terrain. Les travaux de l'historien militaire Sir Basil Henry Liddle Hart dans l'entre-deux guerres mondiales en matière de promotion des stratégies indirectes sont particulièrement édifiants. Liddle Hart prône le harcèlement des réseaux logistiques de l'adversaire, des frappes sur ses réseaux de ravitaillement, et dans le même temps recommande de contourner ses bastions plutôt que de l'attaquer de front.

    En ce sens, nous avons un retard à combler. Comme les Américains, au plan militaire, nous préférons l'action directe. Nous avons la perpétuelle tentation de l'efficacité immédiate qui passe par le choc direct. Pour preuve nos combats héroïques mais difficiles d'août 1914. On fait fi du renseignement, on croit que l'on va créer la surprise, on préfère agir en fondant sur l'adversaire, en croyant benoîtement que la furia francese suffira à l'emporter. On sait ce qu'il advint… Le fait est que nous préférons le choc frontal aux jeux d'influence. Nous comprenons d'ailleurs mal les logiques et rouages des stratégies indirectes. Nous cherchons à attaquer la force plutôt que la faiblesse, ce qui est à l'exact opposé de ce que prône Sun Tzu. Comme on le sait, pour ce dernier, l'art de la guerre est de gagner en amenant l'ennemi à abandonner l'épreuve engagée, parfois même sans combat, en utilisant toutes les ressources du soft power, en jouant de la ruse, de l'influence, de l'espionnage, en étant agile, sur le terrain comme dans les têtes. En ce sens, on peut triompher en ayant recours subtilement aux armes de l'esprit, en optimisant les ressources liées à l'emploi du renseignement, en utilisant de façon pertinente les jeux d'influence sur les ressorts psychologiques de l'ennemi.

     

    Jusqu'à ces dernières années, on hésitait à parler d'influence au sein des armées, principalement à cause des séquelles du conflit algérien. Les blocages mentaux sont encore très forts. Cependant, les interventions conduites par les Anglosaxons en Irak et en Afghanistan ont contribué à tourner la page. Nos armées doivent-elles, selon vous, se réapproprier ce concept et les outils qui en découlent ?

    Dans les guerres de contre-insurrection que nous avons eues à conduire, nous avons compris que l'important était moins de détruire l'ennemi que de convaincre la population du bienfait de notre présence et de notre intervention. Ce sont effectivement les Américains, qui ont redécouvert la pensée française de la colonisation, de Lyautey et de Gallieni, qui privilégiaient la démarche d'influence à la démarche militaire stricto sensu. Notre problème dans les temps récents est effectivement lié aux douloureuses séquelles du conflit algérien, où nous avions cependant bien compris qu'il fallait retourner la majorité de la population pour stabiliser le pays et faire accepter la force française. Ce qui, dans les faits, fut réussi. Le discrédit jeté sur les armées et certaines méthodes ayant donné lieu à des excès, ont eu pour conséquence l'effacement des enjeux de la guerre psychologique et des démarches d'influence.

    Avec l'Afghanistan, les choses ont évolué. Au début, nous considérions que l'aide aux populations civiles avait d'abord pour but de faire accepter la force. Ce fut peut-être un positionnement biaisé. Nous n'avions sans doute pas suffisamment intégré le fait que les opérations d'aide aux populations étaient primordiales, puisqu'il s'agissait d'opérations destinées à inciter les populations à adhérer à notre projet. Les Américains ont compris avant nous que les opérations d'influence étaient faites pour faire évoluer positivement la perception de leur action, en gagnant comme ils aimaient à le dire, les cœurs et les esprits de ces populations.

     

    Dans Le piège américain, vous vous interrogez sur les raisons qui peuvent amener les États-Unis à perdre des guerres. Accorde-t-on une juste place aux opérations d'influence ? Comment voyez-vous chez nous l'évolution du smart power ?

    Premier constat, la force est un argument de moins en moins utilisable, car de moins en moins recevable dans les opinions publiques. Si nous voulons faire triompher notre point de vue et imposer notre volonté, il faut s'y prendre différemment et utiliser d'autres moyens. Et d'abord s'efforcer de trouver le meilleur équilibre entre les outils qu'offre le soft power, avec une juste articulation entre les moyens diplomatiques ou d'influence, et les outils militaires. Ces derniers ne peuvent plus être employés comme ils l'étaient avant, l'avantage comparatif initial des armées relevant de l'ordre de la destruction.

    Ce bouleversement amène naturellement les appareils d'État à explorer les voies plus douces présentées par les opérations d'influence, lesquelles sont bien sûr davantage recevables par les opinions publiques. Or, pour en revenir à votre question, la puissance militaire déployée par les Américains est par nature une puissance de destruction, donc de moins en moins utilisable dans le cadre évoqué ici. Sinon, comment expliquer que la première puissance mondiale, qui rassemble plus de la moitié des ressources militaires de la planète, n'ait pu venir à bout des Talibans ?

    C'est bien la preuve que le seul recours à la force brute ne fonctionne pas. Les États doivent donc chercher dans d'autres voies que celle de la pure destruction, les moyens d'assurer la poursuite de leurs objectifs politiques. Même si nous devons garder à l'esprit que ce moyen militaire stricto sensu reste essentiel dans certaines configurations bien définies. Il ne s'agit pas de se priver de l'outil militaire, qui peut demeurer déterminant sous certaines conditions, mais qui n'est plus à même cependant de résoudre à lui seul l'ensemble des cas auxquels les États se trouvent confrontés.

     

    Vous qui avez présidé aux destinées de l'École de guerre, quelle vision avez-vous de l'influence, des stratégies et des opérations d'influence ?

    L'enseignement à l'École de guerre évolue. Même si nous nous efforçons de penser avant tout sur un mode stratégique, néanmoins, nous travaillons toujours sur les opérations relevant prioritairement du hard power.

    Nous intégrons bien sûr les opérations relevant du soft power, mais elles ne sont pas prioritaires. L'élève à l'École de Guerre doit avant tout savoir planifier - ou du moins participer à des équipes de planification - dans le cadre de forces et d'opérations d'envergure. Il y a un certain nombre de savoir-faire techniques à acquérir, lesquels reposent davantage sur l'usage de la force que sur celui de l'influence. Pour les élèves, c'est là un métier nouveau à acquérir, complexe, très différent de ce qu'ils ont connu jusqu'alors, qui se trouve concentré sur l'emploi de la force militaire à l'état brut. Cependant, dans tous les exercices qui sont conduits, il y a une place pour les opérations d'influence. La difficulté est que l'on ne se situe pas là dans le concret, et que c'est délicat à représenter. Les résultats sont difficiles à évaluer, ils ne sont pas forcément quantifiables, ils peuvent aussi être subjectifs. Alors, peut-être d'ailleurs par facilité, on continue à faire ce que l'on sait bien faire, plutôt que de s'aventurer à faire ce qu'il faudrait réellement faire.

    L'Armée de Terre n'a pas à définir une stratégie d'ensemble. Elle doit simplement donner une capacité opérationnelle, maximale à ses forces. Une Armée se situe au niveau technique et opérationnel. Le niveau stratégique se situe au niveau interarmées. Et c'est là que doit s'engager la réflexion à conduire en matière de soft power. Ces précisions étant apportées, il n'en demeure pas moins que – tout particulièrement au sein de l'Armée de Terre – il est nécessaire d'avoir recours à la doctrine qui porte sur les actions à conduire en direction des populations, puisque l'on veut influer sur la perception qu'elles ont de notre action. Reconnaissons pourtant que nous sommes moins avancés que les Américains en ce domaine. Un exemple: un général américain qui commandait la première division de cavalerie en Irak, m'a raconté comment, avant de partir, il avait envoyé tous ses officiers d'état-major à la mairie de Houston pour voir comment fonctionnait une ville. Car il savait bien qu'il allait acquérir le soutien de la population irakienne non pas en détruisant les infrastructures, mais au contraire en rétablissant au plus vite les circuits permettant d'assurer les besoins vitaux, comme les réseaux d'eau ou d'électricité. Il a donc travaillé en amont sur une opération d'influence, qu'il a su parfaitement intégrer à sa manœuvre globale. De la sorte, la manœuvre d'ordre strictement militaire ne venait qu'en appui de la démarche d'influence.

     

    A-t-on agi de même en Afghanistan?

    En Afghanistan, on a travaillé sur trois lignes d'opérations: sécurité, gouvernance, développement. On a compris que l'on ne pouvait pas travailler de manière séquentielle, (d'abord sécurité, puis gouvernance, puis développement), mais que l'on devait travailler en parallèle sur les trois registres, avec une interaction permanente permettant d'aboutir harmonieusement au résultat final. Si les lignes gouvernance et développement relèvent peu ou prou de la sphère de l'influence, il faut cependant reconnaître que le poids budgétaire de la ligne sécurité est de loin le plus important.

     

    Pourquoi ?

    Au niveau des exécutifs gouvernementaux, on considère que les opérations militaires sont du ressort du hard power. Or, l'action sur les autres lignes d'opération est au moins aussi importante que sur la ligne d'opération sécurité. De fait, au moins dans un premier temps, les militaires sont d'autant plus à même de conduire les opérations d'influence qu'ils sont les seuls à pouvoir agir dans le cadre extrêmement dangereux où ils sont projetés. Mais ils ont effectivement une propension à penser prioritairement les choses selon des critères sécuritaires. Autre point à prendre en considération, les États ont des budgets limités pour leurs opérations. Les opérations militaires coûtent cher. La tendance naturelle va donc être de rogner sur les autres lignes qui n'apparaissent pas – à tort sans doute – comme prioritaires. Concrètement, influence, développement, gouvernance se retrouvent ainsi être les parents pauvres des opérations extérieures.

     

    N'y-a-t-il pas également un problème de formation?

    Dans les armées, on est formé comme lieutenant, capitaine, commandant pour parvenir d'abord à l'efficacité technique immédiate. On est ainsi littéralement obsédé par cet aspect des choses et son corollaire, à savoir le très rapide retour sur investissement. On concentre ainsi nos ressources intellectuelles sur le meilleur rendement opérationnel des forces, en privilégiant le budget que l'on consent à une opération. N'oublions pas que nous évoluons aujourd'hui au sein de sociétés marchandes qui veulent des retours sur investissement quasiment immédiats. Nous sommes ainsi immergés dans le temps court, à la différence par exemple des sociétés asiatiques qui, elles, ont une perception radicalement différente du facteur temps. Elles savent qu'à long terme, il est infiniment moins onéreux de laisser le temps au temps, de laisser les transformations se faire progressivement, d'accompagner par l'influence ces transformations. La Chine se vit et se pense sur des millénaires, elle connaît la force des transformations silencieuses qui atteignent leur objectif par le biais de savantes et patientes manœuvres d'influence. Nous cherchons le rendement immédiat à coût fort. Ils visent le rendement à long terme et à faible coût.

     

    En guise de conclusion, peut-il y avoir une communication d'influence militaire ?

    C'est un peu la vocation du Centre interarmées des actions sur l'environnement, créé en juillet dernier de la fusion du Groupement interarmées actions civilo-militaires (GIACM) et du Groupement interarmées des opérations militaires d’influence (GI-OMI). Sur les théâtres où nous opérons, nous mettons naturellement en place des vecteurs destinés aux populations locales, visant à mieux faire comprendre notre action, à faire percevoir en douceur les raisons pour lesquelles nous agissons. En un mot, nous nous efforçons de jouer sur les perceptions et sur l'image. Mais ce jeu assez fin sur l'influence reste le parent pauvre de l'action militaire.

    L'influence est tout en subtilité. On ne la perçoit pas comme on peut percevoir un tir d'artillerie ou une frappe aérienne. Même si nous sommes persuadés du bienfondé des opérations d'influence, nous ne parvenons pas à faire d'elles des priorités, donc à dégager suffisamment de budgets et de personnels à leur profit. En outre, les configurations actuelles privilégient plutôt les projections de puissance pour faire plier l'adversaire. Or, dans l'histoire et en prenant les choses sur le long terme, on constate que l'utilisation de la seule force pure ne marche pas dès lors qu'on examine les choses dans la durée. La projection de puissance ou l'action brutale sont capables de faire plier momentanément l'adversaire. Mais tant que l'on n'a pas changé les esprits, l'adversaire va revenir à la charge, quitte à contourner les obstacles. D'où l'importance capitale des opérations d'influence quand on embrasse une question dans son ensemble. Sur ces questions, je renvoie volontiers au remarquable ouvrage du général Sir Rupert Smith, L'utilité de la force, l'art de la guerre aujourd'hui (Economica, 2007). Pour lui, désormais, les opérations militaires doivent être considérées moins pour ce qu'elles produisent comme effets techniques que pour ce qu'elles produisent sur l'esprit de l'autre. C'est là une préoccupation relativement récente. Ainsi, les dommages collatéraux se révèlent contre-productifs et viennent miner le résultat militaire que l'on vise. Il nous faut bien plutôt réfléchir en termes d'effets à obtenir sur l'esprit de l'autre. C'est là que l'influence s'impose comme une démarche capitale, qu'il nous faut apprendre à maîtriser. Si l'on fait l'effort de mettre les choses en perspective, sur le long terme, on voit bien que toute action militaire, au fond, doit intégrer pleinement la dimension influence, jusqu'à être elle-même une action d'influence.     

    Général Vincent Desportes, propos recueillis par Bruno Racouchot (Communication & Influence, janvier 2013)

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  • Révoltes arabes sous influences...

    Le nouveau numéro du magazine Eléments ( le n°140) est en kiosque et on peut constater que la nouvelle formule, mise au point par Pascal Eysseric, tient ses promesses ! On trouve dans ce numéro un dossier sur les révoltes du monde arabe, des entretiens avec le général Vincent Desportes, l'écrivain aventurier Sylvain Tesson et le politologue suisse Patrick Haenni, des pages consacrées au combat des idées, abordant aussi bien l'érotisme que l'avénement de la Chine dans le marché mondial, et, bien sûr, les pages Cartouches sur les livres, le cinéma, la science, etc... et l'éditorial de Robert de Herte (alias Alain de Benoist). Bref, un numéro riche et stimulant à emporter sur la plage pour ne pas bronzer idiot !

     

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    Au sommaire du dossier : "Révoltes arabes sous influences"

    Toute la question, maintenant, est de savoir comment les mouvements actuels pourront résister aux récupérations de toutes sortes, voire aux contre-révolutions. « On osa jusqu’à la fin, parce qu’on avait osé d’abord », disait Saint-Just à propos de la Révolution de 1789. Mais les révolutionnaires français savaient au moins ce qu’ils voulaient. L’anonyme « printemps arabe», qui n’a pour l’instant fait émerger aucune idée neuve, aucune figure capable de remplir le vide du pouvoir, aucune classe intellectuelle capable de théoriser ses aspirations, osera-t-il « jusqu’à la fin » ? On peut en douter. Les révoltes permettront à de nouvelles générations d’accéder au pouvoir, pas forcément de changer de régime.
    Le monde arabe moderne est né en 1916, quand les populations du Proche-Orient se sont soulevées contre les Turcs ottomans, maîtres de la région depuis le début du XVIème siècle. Depuis cette date, les « printemps arabes» se sont succédé, mais l’« indépendance » proclamée le 5 juin 1916 à La Mecque est toujours restée un rêve. On attend encore qu’il puisse se concrétiser.

    • Derrière les jacqueries des peuples, les révoltes de palais, par Pascal Eysseric
    • Egypte : le pays qui dansait sur un volcan
    • Entretien avec Patrick Haenni, métamorphose de l'islam
    • Chronologie des révoltes arabes
    • Turquie : la nouvelle révolution verte, par Tancrède Josseran

    Et aussi
    • Entretien exclusif avec le général Vincent Desportes : « Le piège américain »
    • L'aventure de Sylvain Tesson : la quête du paladin
    • Chine : les habits neufs du capitalisme mondial, par Flora Montcorbier
    • Nicolas Gogol, le démon du ridicule, par François Bousquet
    • Bruno de Cessole, promenade au pays des géants, par Michel Marmin
    • D. H. Lawrence, le prophète du sang primitif, par Fabrice Valclérieux
    • Le dictionnaire culte des films français pornographiques et érotiques, par Francis Moury

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